Si on ouvre ne fut-ce qu’un peu les yeux, il est impossible de se promener au centre ville de Douala sans remarquer ceux qu’on appelle les « enfants de la rue » ou encore « nanga boko » (littéralement « dormir dehors » en langue Douala). Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? Pourquoi sont-ils là ? Il est assez difficile de répondre à ces questions, non seulement faute d’étude statistique et démographique du phénomène, mais aussi à cause de la nature extrêmement variable des situations et histoires personnelles. Dans un continent tel que l’Afrique, réputé pour la solidité des liens familiaux, ce grand nombre d’enfants livrés totalement à eux-mêmes a de quoi surprendre. Peut-on les considérer comme des victimes de la déstructuration d’une société partagée, pour ne pas dire écartelée, entre traditions ancestrales et modernisation ? Car s’il est vrai que les liens familiaux représentent toujours une valeur centrale, il n’en reste pas moins que ces enfants sont la preuve vivante que ces liens familiaux se sont effrités, dans certains cas au point de ne plus pouvoir offrir les gardes-fous traditionnels. Il est significatif que beaucoup de ces enfants expliquent leur présence dans les rues de Douala par des problèmes familiaux.
Quelle que soit leur histoire, ces enfants qui dorment, mangent et vivent dans la rue 100% de leur temps, sont en bien mauvaise posture face à l’avenir. S’ils arrivent à se débrouiller pour subvenir au besoin essentiel de se nourrir en gagnant quelques pièces – par exemple en lavant des voitures – ils n’ont généralement qu’un accès extrêmement limité aux soins de santé et, surtout, grandissent sans recevoir la moindre éducation ou formation. Beaucoup sont animés par le rêve de « réussir », de devenir quelqu’un, d’avoir beaucoup d’argent. La ville fait rêver, mais la désillusion est presque inévitable. Dans ce contexte, le vol, la délinquance, voire le banditisme, peuvent se présenter comme les seules issues.
Il existe plusieurs associations qui, à Douala, tentent de venir en aide à ces enfants. Les démarches sont de deux types. La première vise à rendre un peu plus supportable des conditions de vie bien difficiles. Il s’agit par exemple de dons de vêtements ou de distributions de nourriture. La seconde, infiniment plus difficile à mettre en œuvre, vise à traiter le problème plus en profondeur pour réinsérer ces enfants dans la société. Dans ce cas, la première étape est de voir si l’enfant peut réintégrer le milieu familial. Si, pour une raison ou pour une autre, ce n’est pas possible, il convient de remédier à l’absence du milieu familial et d’aider l’enfant à se construire un avenir en suivant une formation professionnelle ou en allant à l’école.
Parmi les associations suivant cette seconde démarche, citons la Maison des Jeunes et des Cultures (MJC), toute proche du Collège Libermann. Voici comment Ricardo MBA, responsable des affaires sociales à la MJC (2), la présente : « Il s’agit d’une structure d’animation et d’éducation des jeunes de Douala, de promotion et de défense des droits des enfants en détresse. Elle appartient à l’archidiocèse de Douala. Dans son programme d’activités, le secteur social s’occupe des enfants de la rue, des mineurs de la prison et des orphelins des quartiers. Nous nous occupons donc des enfants depuis 7 ans et nous avons toujours eu l’appui social et charitable de certains élèves du Collège Libermann. Le père Alfonso (ancien supérieur des jésuites) nous a souvent aidé à organiser des occasions de rencontre. L’objectif était de briser les barrières d’inégalité sociale entre les enfants. »
J’ajoute que la MJC se focalise sur le replacement des enfants dans les familles. Cela implique un suivi par des visites régulières dans les familles réintégrées. Ce suivi est assuré par Ricardo.
En 2002-2003, la classe de Première C a organisé, avec la collaboration de Ricardo, un match de foot avec les enfants de la rue, comme activité de Noël. Suite à ce match très engagé qui s’est soldé par une victoire 1-0 des enfants de la rue, tous ont pu partager un repas que les élèves de 1C avaient préparé. Le tout s’est terminé en musique et dans la bonne humeur. Les enfants de la rue, venus avec un esprit très fort de conquête, voulant montrer à ceux qui « dorment dans des lits » ce qu’ils valaient, sont repartis fiers, mais aussi plein de gratitude envers leurs hôtes. Pour les élèves, ce fut l’occasion d’un partage et d’une découverte au-delà des préjugés. Voici le commentaire de Fabrice DAGO, actuellement en Terminale C :
« La rencontre avec les enfants de la rue au cours de l’année 2002-2003 m’a permis de comprendre que je m’étais trompé à leur sujet. Avant cela, je croyais que c’étaient des enfants avec qui il ne fallait avoir aucun contact physique, mais je faisais erreur. Ce sont des personnes comme nous, dotées d’une intelligence qu’on n’a pas pu exploiter faute de moyens, d’encadrement, de soutien. Quand vous causez avec eux, vous vous rendez compte que l’amour des autres, des parents, de l’entourage est très important pour un être humain car c’est cette force qui fait grandir. Et si nous allons plus loin, elle est le lien entre le cœur et l’intellect. Dès lors vous comprenez pourquoi, dès que cette liaison est rompue, le comportement de l’homme est dérisoire. Aujourd’hui, je pense que les enfants de la rue sont des jeunes comme nous, qui ont besoin de notre amour, de notre aide, pas seulement financière, mais aussi intellectuelle. »
En cette année 2003-2004, une nouvelle activité a vu le jour. Un samedi sur deux depuis la fin octobre, une équipe d’élèves de Première C et de Terminale C viennent au Collège pour participer à un parrainage scolaire d’enfants issus de la rue. Ces enfants ne sont plus dans la rue, mais ont été accueillis par la chaîne des foyers Saint-Nicodème. Ces foyers sont destinés aux enfants qui n’ont pu être replacés dans leur famille (3). Le parrainage scolaire consiste à aider ceux des enfants des foyers qui sont scolarisés à comprendre et travailler leurs cours. Ce soutien, même léger – il s’agit de 2 heures toutes les deux semaines, joue un rôle important dans la motivation des enfants des foyers. Ces derniers viennent de Bépanda au Collège à pied pour pouvoir suivre les séances de parrainage. A leur tour, ces enfants pourront servir d’exemples aux autres enfants de la rue et des foyers. Laëtitia TOUKAM de 1C participe activement aux parrainages :
« Les séances de parrainage m’ont permis de réaliser à quel point il est difficile d’expliquer des choses que l’on comprend à quelqu’un dont le niveau est largement en-dessous du nôtre. Il faut décomposer le problème de façon très minutieuse et expliquer à partir des notions fondamentales, ce qui n’est pas évident, car certaines choses nous paraissent évidentes alors que, pour eux, elles sont très complexes.
J’ai aussi réalisé que le succès est le fruit d’un travail et d’un suivi continus. Ces enfants vont à l’école par intermittence, souvent avec des interruptions très longues, et quand ils reviennent, ils sont déphasés et il leur est très difficile d’être au même niveau que les autres. »
Si ces activités vous semblent intéressantes ou que vous voulez en savoir plus, venez en discuter avec les élèves qui y participent ou avec moi, mais sachez que vous aussi, vous possédez une richesse et que vous pouvez aider ceux qui sont autour de vous. Terminons par ce mot de Léonel MBIADA, un des enfants parrainés, qui fréquente en 5ème :
« Pour le bien être que vous faites pour nous, nous vous remercions pour ce début. Nous constatons un progrès dans nos efforts scolaires. Pour cela, notre merci vient de tout droit de notre cœur. Que ce geste soit un geste d’amour, pas un geste de pitié, afin qu’ensemble, nous nous trouvions reconnaissants. »
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